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L’enfant-roi en France
“Enfant-roi”, “Enfant-tyran”, “Enfant-dictateur” : Kézako ?
Ces expressions sont régulièrement utilisées en France pour désigner les enfants au comportement que certains adultes jugent inadapté. Derrière ces formules percutantes se cachent une multitude de réalités.
Cependant, dans le langage courant, il est communément admis qu’un enfant-roi ne respecte aucune règle, se montre égocentrique, calculateur, manipulateur, coléreux, et jouant des sentiments d’autrui pour parvenir à ses fins.
Ces comportements seraient dus, selon la doxa, à un laxisme des parents qui laisseraient faire n’importe quoi à leurs enfants, dans le but de leur éviter toute contrariété, des enfants choyés, à qui l’adulte passe tout, et qui n’est, bien sûr, jamais puni.
Idée reçue n°1
Les frustrations sont nécessaires au développement de l’enfant
Un petit mot sur les VEO : on entend très souvent, lorsque l’on ne frappe pas son enfant “mais c’est important d’éduquer, et de poser des limites”. Oui, absolument, mais cela ne nécessite en rien une quelconque violence. Il faut arrêter cet amalgame entre “éducation” et “dressage”, ou entre “éducation sans violences” et “absence d’éducation”.
Apprendre les règles de la vie en société, amener un enfant à développer un sens moral solide, conduire un adolescent à respecter des limites est plus simple sans VEO. Ces dernières étant contre-productives, car elles entraînent au contraire des comportements antisociaux, et nuisent à l’écoute et à la compréhension 1 2.
Les frustrations ne sont pas nécessaires en soi, ce sont les limites qui le sont. Il est évident pour chacun qu’un enfant a besoin d’un cadre, propre à chaque famille (horaire, alimentation, hygiène, instruction, besoins affectifs…), et de limites claires, inhérentes à la vie en société. Les frustrations découlent des interdits obligatoires posés par les parents pour respecter ce cadre et ces limites.
En utilisant le terme “frustrations” au lieu de limites, cela induit la fausse idée de la nécessité de dire “non” régulièrement pour habituer l’enfant à renoncer, et à se plier à une autorité, même quand le refus n’est ni justifié, ni nécessaire.
Contraindre à une obéissance aveugle, sourde et muette déresponsabilise l’enfant, car son sens critique n’est pas sollicité. Il ne s’agit pas du vieux slogan si décrié “Il est interdit d'interdire”, mais au contraire d’"arrêter d’interdire pour juste interdire”. Derrière cette formule, j’espère inciter à interdire à dessein. Le but est d’éviter les frustrations inutiles qui ne font que créer des conflits stériles, qui abîment la relation de confiance entre parent et enfant, et apprennent à l’enfant à se soumettre à l’autorité bête et méchante, sans distinction de bien ou de mal.
La question est de savoir ce que nous souhaitons comme génération pour la société de demain. Celle qui peut électrocuter à mort un inconnu parce qu’une tierce personne le lui ordonne ?
L’expérience de Milgram 3 a démontré que 62.5% de la génération de nos grands-parents en était capable. Le Jeu de la Mort 4 a montré que 81% de notre génération est capable de torturer à mort un être humain, pour divertir des télespectateurs.
D’où vient cette obéissance intolérable ? Peut-être de la soumission que les adultes ont toujours exigé des enfants... Quelle que soit la cause que l’on lui reconnaît, il est urgent de concevoir le rôle de parent autrement que comme détenteur d’une autorité inaltérable. Cette conception adultiste qui soumet l’enfant, au lieu de le faire co-acteur de son développement.
J’ai vu des parents fiers d’avoir une progéniture qui obéit au doigt et à l’oeil, sans récrimination, et qui ne comprenaient pas pourquoi mon fils me pose des questions, ou rechigne, quand je lui demande quelque chose. Pour eux, c’était un manque de respect : un enfant doit obéir, sans discuter. Selon moi, cette conception adultiste met gravement en péril les relations inter-familiales, et au delà, la capacité de l’enfant à penser par lui-même.
Ce type de relation gagnant/perdant, basée sur la soumission de l’enfant, ne fonctionne qu’un temps limité. Tôt ou tard, l’enfant s’émancipe de ses parents, le parent est alors confronté à deux choix.
Il peut se rendre compte que sa position n’est plus tenable, et lâcher les rênes, ce qui induit que l’enfant est livré à lui-même, car si il craint l’autorité, il ne respecte pas l’avis de ses parents, n’ayant pas été amené à développer son sens critique. Combien de fois avez-vous entendu cette petite phrase “Jusqu’à l’adolescence, il était adorable, après c’était n’importe quoi”?
Petite nuance : il était obéissant, pas adorable. La soumission n’a rien à voir avec la gentillesse.
En second choix, le parent peut s’entêter à tenter de conserver sa position d’autorité, en tapant, criant, posant des interdits absurdes, des punitions obsolètes, et perdre définitivement le respect de ses enfants.
Idée reçue n°2
Les enfants non contraints par l'autorité sont antisociaux
Est-ce que les enfants terribles existent ? Oui, bien sûr.
Les enfants violents existent.
Les enfants qui répondent de manière insolente, ne respectent pas les autres, se mettent en danger sans conscience des conséquences existent. Mais si ils sont craints, et sur représentés dans les médias, ils n’incarnent pas la majorité de leur génération.
Qui sont ces enfants ? Ce sont des enfants éduqués sans violences ? Des enfants dont les besoins éducatifs ont été respectés, et qui ont grandi dans un environnement familial rassurant ?
Non, ce sont des enfants qui ont subi des carences éducatives, et/ou des violences physiques, psychiques ou verbales.
Vous connaissez les différents profils de ces familles, vous en côtoyez même peut-être.
Des parents qui frappent leurs enfants à la moindre contrariété, sans que l'enfant n'est fait ou dit quoi que ce soit.
Des parents qui souhaitent être tranquilles, qui collent leurs enfants devant la télé pour avoir la paix, qui ne jouent jamais avec eux, n’organisent aucune activité pour tisser des liens.Des parents qui disent “oui” à tout, dans le seul dessein de grappiller quelques minutes devant l’ordinateur, ou le téléphone, même si la demande de l’enfant est déraisonnable, ou dangereuse.
Des parents qui s’énervent pour des peccadillles, hurlent, menacent, dès qu’ils sont dérangés dans leur envie de calme.
Des parents qui frappent quand le comportement de leur enfant devient ingérable, ou lorsqu’ils manifestent une volonté différente de la leur un peu trop longtemps ou trop bruyamment.
Des parents qui pensent à leur plaisir, avant de considérer les besoins de leurs enfants.
Leurs enfants peuvent être compliqués à gérer, coupés de leurs émotions, ou ne sachant pas les gérer. défiant l’autorité, ou faisant fi des conventions sociales. Contrairement à ce que l’on pense, ces enfants n’ont pas tout ce dont ils ont besoin, il leur manque le principal : l’éducation.
Les enfants dits “terribles” ne sont pas des enfants qui se permettent tout et n’importe quoi parce qu’ils ont eu une grande liberté, et ont été respectés.
C’est le contraire.
Leurs parents se sont accordés à eux toute la liberté possible, et n’ont respecté que leurs propres besoins. Ces jeunes ne sont pas des “enfants-rois”, mais les adultes chargés de leur éducation sont réellement, eux, des “parents-rois”.
Idée reçue n°3
La peur populaire de l'enfant-qui-commande
“Nos jeunes aiment le luxe, ont de mauvaises manières, se moquent de l’autorité et n’ont aucun respect pour l’âge. À notre époque, les enfants sont des tyrans.”
On pourrait penser que cette affirmation est issue d’un documentaire sur la jeunesse en France. Il s’agit d’une citation de Socrate, datant du Vème siècle avant J.C. Il y a plus de 2000 ans, alors que les parents avaient le droit de vie et de mort sur les enfants, il existait déjà cette crainte de perdre la fameuse “autorité” sur l’enfant.
Cette phobie de l’enfant qui souhaite dominer les adultes cache une réalité peu glorieuse : 87% des enfants sont frappés sous couvert d’éducation en France. 98 000 enfants sont en danger physique. Loin d’être en passe de dominer qui que ce soit, les enfants sont les seuls êtres en France qui ne sont pas protégés légalement contre la violence physique, alors même qu’ils sont les plus vulnérables.
Pourquoi cette crainte de l’enfant-roi s’est-elle ancrée dans nos société ? Certainement parce que l’adulte en France ne conçoit ses relations avec l’enfant qu’en terme de pouvoir. Dans l’esprit de beaucoup d’adultes, la relation parent/enfant ne peut être basée que sur un lien de gagnant à perdant, et c’est cette conception qui hisse l’autorité sur un piédestal, en en faisant la vertu centrale de beaucoup de familles.
Si l’on change de regard sur l’enfant, en le considérant non plus comme un monstre assoiffé de pouvoir à dresser, mais à un adulte en devenir à accompagner dans ses apprentissages, toute violence devient inutile, car la confiance sera le socle de la relation, et non plus l’autorité.
Conclusion
La théorie de l’enfant-roi, basée sur la fausse idée que trop de gentillesse pourrirait la nature humaine, est un épouvantail pour appeler à plus d’autorité. L’autoritarisme mène à plus de violences, et engendrent plus d’enfants terribles.
C’est un cercle vicieux dont nous devons avoir conscience pour en sortir. Ce sont les VEO qui nuisent à la nature humaine 5, caractérisée par l’empathie, et la générosité innée que l’on peut observer chez les tout-petits, pas la bienveillance éducative.
La France doit changer son regard sur l’âge de l’enfance, et de la jeunesse.
Il n’existe pas d’enfants-rois, seulement des parents-rois, qui font des enfants durs, car traités durement.
“Les enfants terribles sont des enfants terriblement malheureux”
Ken Gersten
1http://www.apa.org/news/press/releases/2002/06/spanking.aspx
2 http://pediatrics.aappublications.org/content/early/2010/04/12/peds.2009-26783 Stanley MILGRAM, "La Soumission à l'autorité", Calmann-Lévy, Paris, 1994.
4 https://fr.wikipedia.org/wiki/Le_Jeu_de_la_mort_(documentaire)
5 Olivier MAUREL, "Oui, la nature humaine est bonne", Robert Laffont, Paris, 2009.
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