• Réponse à l'article "Fessées interdites, parents perplexes"

     

     

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    Cet article 1 m'a interpellé et je publie ici une réponse publique. Je précise d'emblée : je ne suis ni neutre, ni objective, et je n'ai absolument pas l'intention de le devenir. Militante contre les Violences Educatives Ordinaires (VEO), mon discours ne fait pas dans la demi-mesure. Il est partisan.
    L'article est paru sur Telos, site dédié au débat d'idées, se déclarant réformiste, et libre de tout parti politique. 

    L'auteur, Julien Darmon, sociologue et chef d'entreprise, amorce son écrit en rappelant l'annulation de la proposition de loi pour l'abolition des châtiments corporels, décidée par le conseil constitutionnel en janvier 2017. 

     

    Précision sur le but de la loi

     

    Julien Darmon assène 

     "Soit il était totalement inutile d’écrire que les parents ont interdiction de martyriser leur progéniture, ce que la loi sanctionne déjà durement. Soit il s’agit d’orienter les comportements au sein de la cellule familiale." 

    La maltraitance est effectivement condamnable, mais pas les VEO. Cette loi n'est ni inutile (qui peut prétendre qu'elle l'est, alors que les violences contre les enfants tuent chaque jour ?), ni discrétionnaire pour les droits parentaux, car elle n'a pas pour vocation de décider des orientations éducatives propres à chaque famille. 

    Il existe une troisième possibilité, que l'auteur n'a clairement pas pris en compte. Cette loi a pour but de protéger les enfants contre la violence exercée par les adultes envers eux, qu'ils soient les parents, les autres membres de la famille, les enseignants, les baby-sitters... 

    La différence est de taille, le modèle éducatif choisi par les familles ne sera jamais remis en cause, à la condition que les adultes n'exercent aucune violence sur les enfants. 

     

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    Droit de correction

     

    Julien Darmon écrit dans son article que le droit de correction

    "permettait, jusqu’en 1959, au père français de faire interner ses enfants mineurs par l’Assistance publique". 

    On note ici qu'il y a une impasse sur le droit de correction accordé par jurisprudence, qui stipule que "la possibilité est donnée à tout parent d'user d'une force mesurée et appropriée à l'attitude et l'âge de leur enfant du moment que cela n'a pas de conséquence corporelle ou psychique pour celui-ci, cette possibilité s'inscrivant dans le cadre de l'obligation éducative des parents". 

     L'usage de la violence est donc légalement acceptée envers les enfants. Et c'est cette jurisprudence qui est à l'origine d'une injustice criante : les seuls êtres qui ne sont pas protégés de la violence en France sont les plus vulnérables de notre société.

    Madame Rossignol, alors secrétaire d'Etat en charge de la famille a bien résumé la situation dans cette déclaration 

    "Quand on voit un homme battre sa femme, tout le monde intervient ; si on voit deux adultes qui se battent, on va essayer de les séparer ; si on voit quelqu'un qui martyrise un animal, on va intervenir et, en fin de compte, les seuls êtres vivants que l'on peut frapper sans justifier que l'on puisse intervenir, ce sont les enfants.". 

    L'auteur de l'article, en excluant l'existence de cette jurisprudence, laisse entendre que la loi punit déjà sévèrement les violences sur les enfants, et omet ainsi que les fessées, gifles, et autre tirages de cheveux, sont également des violences. 

     

    Interdiction d'interdire ?

     

    Le Dr Darmon s'interroge ensuite

    "cette volonté de proscrire une sanction ne revient-elle pas à affirmer, dès le plus jeune âge, selon le vieux slogan gauchiste, qu’il est décidément interdit d’interdire ?"

    Petite parenthèse : assimiler la lutte anti-VEO au gauchisme, même de manière aussi subtile que le fait Julien Darmon, revient à assumer une profonde méconnaissance de celle-ci. Parmi les militants, toutes les représentations politiques sont représentées (j'ai même eu l'occasion de discuter avec une royaliste). Je suppose que c'est un moyen détourné pour faire émerger l'idée d'une association entre anti-VEO et extrémisme politisé chez ses lecteurs... 

     

    Allons maintenant au coeur du propos de l'auteur, selon lequel légiférer contre les violences engendrerait de facto une "interdiction d'interdire".

    Est-il d'actualité, encore aujourd'hui en ce qui concerne les enfants, de devoir différencier éducation et dressage ? Est-il vraiment nécessaire de rappeler que éduquer, poser des interdits, et rappeler à l'ordre ne nécessite pas une violence pour faire passer le message? 

    Merci de ne pas confondre "éduquer sans violence", et "ne pas éduquer". 

     

    Remise en cause de l'utilité de la lutte anti-VEO

     

    Julien Darmon explique

    "Plus au fond, il est tout de même étrange de céder aux sirènes anti-fessées quand d’autres situations de mise en danger d’enfants crèvent les yeux."

    S'ensuit le détail d'une situation dramatique : les enfants en situation de mendicité.

    Ce à quoi je réponds : Comment peut-on se concentrer sur ces enfants qui mendient alors que certains subissent de la pédophilie ? Et, au fait, pourquoi s'intéresser à la pédophilie alors que des enfants meurent de faim dans le monde?

    La mise en perspective de drames n'ayant aucun lien entre eux dans le but de discréditer une cause relève d'un biais argumentatif, un sophisme (la technique du hareng fumé). Technique certes percutante, mais légèrement malhonnête. 

     

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    Loin des yeux... 

     

    L'auteur de l'article envisage 

    "une limitation toujours plus importante du recours au châtiment corporel, et une acceptation plus réduite des gifles et fessées, au moins dans l’espace public."

     

    Pourquoi "au moins dans l'espace public" ? Si les enfants sont frappés dans l'intimité du foyer, elle devient donc moins grave ?  Est-ce que les effets de cette violence sont amoindris lorsqu'elle se déroule dans le huis clos d'une famille ? Absolument pas.

    Imaginons un instant cette mise à distance pour un autre groupe social, "on peut s'attendre à ce que les femmes ne soient battues par leur mari qu'à la maison". Inacceptable, n'est-ce-pas ?

    Cette volonté de relativiser la violence subie par les enfants nie leur   souffrance en tant que telle, car elle ne s'intéresse qu'à sa visibilité extérieure.

     

    La violence envers les enfants se raréfie ?

     

    Cette allégation de Julien Darmon

    "plus la fessée s’éteindra dans la famille, plus elle prendra place dans le droit."

    paraît bien optimiste au regard des chiffres de sondage réalisé en France

    _ 45 % des Personnes Interrogées (PI) estiment que la fessée est un            moyen éducatif qu'il faut utiliser 2

    _ 82 % des PI sont contre l'interdiction de la violence sur les enfants 2

    _ 45 % des PI soupçonnent au moins un cas de maltraitance dans son entourage 3

    On remarque l'incohérence des chiffres : 82% des personnes interrogées sont contre l'interdiction de la violence éducative. Dans cette proportion, il y a nécessairement une partie des 45 % qui connaît des enfants en danger. Comme l'auteur de l'article, certains ne voient pas le lien entre VEO et maltraitance. 

     

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    Pour comprendre mieux l'importance de légiférer pour faire évoluer les mentalités, voici un exemple.

    En 1912, cour d'assises de Rouen. Les douze jurés doivent se prononcer sur la culpabilité d'un père ayant abusé sexuellement de sa fille de sept ans. Les jurés s'amusent du témoignage de la petite fille qui explique comment son père la viole. Ils s'interrogent sur la nécessité d'encombrer les tribunaux pour ce genre de peccadille. Le violeur sera acquitté. 

    Pourquoi ce mépris envers une victime d'inceste ?

    En 1912, le viol était un simple délit. Pas un crime. La considération de la souffrance était moindre à cause de cette distinction. 

    Cet exemple illustre le pouvoir normatif de la loi, la doxa de la société reflète ses prises de position législatives. Les considérations sociales évoluent avec le concours de la loi. 

    Nous en avons pour preuve le nombre de lois sociétales, progressistes, votées contre la majorité populaire et acceptées aujourd'hui car les mentalités ont évolué grâce à elles (l'abolition de la peine de mort ou de l'esclavage, celles pour le vote des femmes, du mariage pour tous, le droit à l'avortement...).

     

    Le libre choix éducatif

     

    Julien Darmon écrit 

    "De là à dicter, par le Code civil, à de jeunes mariés leurs comportements en tant que parents, il y avait certainement un pas."

    On retrouve ici l'inquiétude de l'auteur quand au dessein du militantisme anti-VEO.

    Qu'il se rassure ! La lutte anti-VEO n'a absolument pas pour but de s'immiscer dans les choix éducatifs des parents. Que ces derniers optent pour le biberon ou l'allaitement, qu'ils préfèrent musée ou télévision, qu'ils privilégient les Bandes Dessinées ou la littérature jeunesse, qu'ils mangent bio ou fast-food, peu importe.
    Tant qu'ils n'agressent pas leurs enfants, qu'ils ne leur font subir aucun traitement dégradant ou violent, leur choix éducatifs sont respectés.

    Personne ne peut décemment comparer le fait de vouloir protéger les enfants de la violence avec une intervention dans la sphère privée des familles.
    On peut noter que cet "argument" avait déjà été utilisé pour contrer la loi contre les violences conjugales, ou celle pour l'abolition de l'esclavage.

     

    Ridicule ?

     

    La dernière phrase de son article m'a fait bondir, je vous la livre telle quelle 

    "L’exagération par le sourire montre le caractère un rien ridicule de l’affaire."

    L'interdiction des châtiments corporels est source de plaisanterie?

    Les VEO sont le terreau sur lequel germe la maltraitance infantile. La plupart des enfants tués par leurs parents, ou beaux-parents le sont pour une incartade sans gravité (pipi au lit, mauvaise note à l'école, maladresse...). Et beaucoup de morts infantiles sont causées par des gestes de VEO (gifles, douches froides...). Si tous les adultes qui utilisent les VEO ne deviennent pas maltraitants, tous les cas de maltraitance débutent par des VEO.

    98 000 enfants en danger 4 en France. C'est un chiffre qui ne recense que ceux dont la sécurité est compromise par la violence, ou les actes dégradants des adultes autour d'eux. 

    Au delà de cette donnée se pose une question : quand l'enfant est-il considéré en danger ? Quand il y a eu signalement d'un hôpital ? Quand un médecin, policier, ou travailleur social a donné l'alerte ? Mais combien d'enfants sont en souffrance sans pour autant entrer dans cette catégorie ?

    Deux cas hypothétiques :

    Un enfant frappé une fois, de manière extrêmement violente, se retrouve à l'hôpital. Un signalement est fait, un travailleur social donne l'alerte et l'enfant entre dans cet effectif "d'enfant en danger". 

    Son voisin, lui n'a jamais été battu de la sorte, mais chaque semaine, il prend une fessée, ou une gifle. Juste parce qu'il existe. Juste parce qu'il est un enfant. Il ne sera jamais considéré comme "en danger", il ne fera jamais partie des statistiques. Mais sa souffrance est réelle, et elle est invisible.

    Est-elle ridicule, cette souffrance ?

     

    Ma conclusion

     

    Pourquoi militer contre les VEO ? 

    Pourquoi s'imposer autant de débats stressants ?

    Pourquoi s'exposer à l'agressivité du grand public ? 

    Pourquoi perdre certains de ses amis, qui ne comprennent pas notre peine devant leurs gestes de violence ?

    Pourquoi intervenir auprès d'enfants qui pleurent après avoir reçu des coups, alors qu'il est tellement plus facile de détourner les yeux ?

     

    Parce que nous, militants anti-VEO, sommes allés suffisamment loin dans la connaissance des effets de ces violences, et que nous ne pouvons plus les ignorer.

    Parce que nous sommes conscients que l'abandon de la violence dite éducative aura un effet protecteur sur l'enfance. 

    Parce que nous souhaitons changer le regard sur l'enfance, faire accepter l'idée que le tout-petit n'est pas un monstre à dresser, mais un adulte en devenir à accompagner dans le respect de sa personne, et de ses capacités selon son âge.

    Parce que nous avons un rôle à jouer pour le bien de la société, celui de garantir aux enfants le droit de grandir, de s'épanouir sans violences.

    Parce que si le XIXème siècle était celui de l'abolition de l'esclavage, si le XXème siècle était consacré aux droits des femmes, nous espérons que le XXIème siècle sera celui des droits des enfants.

     

    "Le devoir c'est de sentir ce qui est grand, de chérir ce qui est beau, et non pas d'accepter toutes les conventions de la société, avec les ignominies qu'elle nous impose."

    Gustave Flaubert

     

     

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    http://www.telos-eu.com/fr/societe/fessees-interdites-parents-perplexes.html

    http://www.tns-sofres.com/publications/les-francais-et-la-fessee

    http://www.enfantbleu.org/lassociation/chiffres-cles

    http://www.lenfantbleutoulouse.fr/quelques-chiffres-sur-la.html

     


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